Gaz de schiste aux USA: un remède pire que le mal ?
Celui dont la pensée ne va pas loin, verra les ennuis de près (Confucius)
En France, les fervents partisans de la compétitivité et de l'énergie à tous prix sont en train de mener un lobbying d'enfer pour que la fracturation hydraulique soit autorisée et que l'on exploite cette "manne (soi-disant) providentielle": le gaz de schiste. Du MEDEF à l'UFIP (Union Française des Industries Pétrolières), on estime qu'il n'y a plus lieu de parler de pénurie lorsqu'il est question d'hydrocarbures, puisque la production américaine remonte, contre toute attente. Or, pour défendre leur point de vue, l’UFIP ou le MEDEF nous expliquent que le prix du gaz est à nouveau très bas aux US et que la production est durablement élevée, ce qui leur permet de viser l’autonomie énergétique.
Mais que se passe-t-il réellement aux Etats-Unis ?
J’ai déjà évoqué le risque de l’éclatement d’une bulle spéculative dans un article précédent, expliquant les nombreuses raisons qui
rendaient le rythme de production actuel insoutenable. Ce terme de "bulle" a d'ailleurs été utilisé récemment par le patron de Gazprom, première compagnie gazière Russe.
Pour rappel, la production de gaz de schiste a entamé sa progression vertigineuse aux USA à partir de 2007. En juillet 2008, au moment du choc pétrolier, le prix du gaz américain a atteint un pic à 12,6$/Gj (dollar/Gigajoules) puis s’est effondré pour ne quasiment jamais repasser au dessus des 5$/Gj, descendant même jusqu’à 2,4$/Gj en 2012. Malgré cette baisse considérable, la production a continué d’augmenter grâce aux immenses investissements provoqués par un « chant des sirènes », parfaitement relayé par des médias totalement incapable de faire preuve de discernement.
« Les Etats-Unis vont vers l’autonomie énergétique. Il y a plus d’un siècle de production de gaz naturel. Nous serons noyés sous le pétrole et le gaz. C’est une véritable révolution qui va bouleverser les jeux de pouvoir de l’énergie etc. etc. »
© Nataliya Yakovleva
Nous assistons alors à un véritable emballement de la machine. En effet, la production d’un puits est très faible et diminue rapidement (le taux de récupération est compris entre 2% et 15%). Il faut donc forer toujours davantage pour produire durablement, ce qui implique de signer des baux avec de nombreux propriétaires terriens pour disposer d’un maximum de réserves accessibles. Cette augmentation des réserves pour les compagnies permet d’augmenter leur valeur en bourse et d’appeler les investissements. Mais lorsqu’un bail est signé, la production doit être lancée, faute de quoi le bail est rompu. Cette course incessante provoque une hausse exponentielle de la production et un engorgement du marché qui, pas plus que les infrastructures, n’est en mesure d’assumer un tel "boom".
C’est notamment cet engorgement qui a provoqué la baisse des prix, non sans conséquence. Comme l’explique J.Henry Fair dans le Huffigton Post, la première conséquence alarmante est l’effondrement des investissements dans les énergies renouvelables (-54% en 2012). La seconde est un engouement sans précédent pour cette ressource brusquement abondante, provoquant des modifications structurelles considérables.
- Baisse de 23% en 5 ans des importations de gaz en provenance du Canada. Celui-ci est utilisé par ailleurs pour l’exploitation très énergivore des sables bitumineux.
- La consommation totale annuelle de gaz a augmenté de 18% entre 2005 et 2012.
- Sur la même période, la part du gaz dans la production d’électricité est passée de 19% à plus de 30%. Les centrales thermiques utilisées pour produire de l’électricité à partir de charbon sont progressivement converties pour fonctionner au gaz naturel.
Centrale à Charbon destinée à fermer prochainement
- La consommation à l’usage des véhicules a augmenté de 44% en passant de 23 Mcf (Million cubic feet) à 33 Mcf depuis 2005.
- Pas moins de 14 usines d’engrais azoté (dont la production nécessite du gaz naturel) devraient être construites aux Etats-Unis dans les trois à cinq prochaines années offrant une capacité de 12 millions de tonnes par an.
Dès lors, comment concilier une transition énergétique majeure et généralisée qui s’appuie sur un faible coût de la ressource, et le fait que ce faible coût ne permet pas à l’industrie gazière d’être rentable ? Il y a une incompatibilité flagrante entre ces deux aspects, car les investisseurs vont forcément vouloir récupérer leur mise, avec les intérêts !
D'ores et déjà, les compagnies se tournent de plus en plus vers le pétrole de schiste, dont le prix de vente élevé offre une meilleure visibilité pour les investisseurs. Depuis 2008, le nombre d’installations de forage pour le gaz a été divisé par quatre aux Etats-Unis, alors les installations pour le pétrole ont été multipliées par sept !
Par conséquent, la production nationale de gaz naturel plafonne autour de 2000 Bcf depuis presque deux ans. Dans le Bakken, principal bassin de production, 30% du gaz extrait lors de la production du pétrole de schiste est simplement … brûlé en torchères. La moitié de ces 30% est brûlée car les infrastructures de transport et de traitement du gaz n’existent pas, et l’autre moitié à cause de la saturation des équipements existants, incapables de répondre à la demande.
Dans de telles conditions, comment prolonger encore la hausse de la production et maintenir les prix aussi bas ? L’équation semble insoluble. C’est pourquoi nous pourrions assister à une très forte augmentation des prix du gaz aux Etats-Unis dans les mois qui viennent. Celle-ci provoquerait un arrêt brutal des investissements engagés, des faillites nombreuses, une explosion de la facture énergétique des ménages et des entreprises, non seulement pour les consommateurs de gaz, mais plus généralement pour les consommateurs d’électricité.
L’avenir énergétique des Etats-Unis est bien incertain et nous serions bien inspirés de ne pas les copier trop vite. La crise mondiale actuelle incite de nombreux acteurs à prendre des mesures d’urgence, mais parfois le remède peut être pire que le mal.
Pour conclure cette analyse, je dirais qu’en ce qui concerne l’exploitation des hydrocarbures de schiste, il est surtout urgent d’attendre. Continuons de travailler ensemble sur une réelle transition énergétique. Une transition qui consiste à transformer la société afin de réduire considérablement nos besoins, améliorer notre niveau de résilience et exploiter, autant que possible, des ressources énergétiques renouvelables.
jc 05/06/2013 09:53
Benoît Thévard 07/06/2013 15:34
Jessie 21/05/2013 17:25
Benoît Thévard 23/05/2013 09:40
Dereux Philippe 16/05/2013 16:30
Benoît Thévard 17/05/2013 10:11